#24 L'illusion de l'embellie trumpienne
La poursuite de la descente aux enfers est-elle arrêtable?
Cher Philippe,
Je ne sais pas si, entre les sakura déjà fleuris, les sashimis et le mont Fuji, tu as eu le temps d’observer la planète Trump ces derniers jours. Elle continue de tourner dans le sens contraire du bon sens et de la raison. L’administration Trump vient d’interdire à l’Université Harvard d’enrôler le moindre étudiant étranger. L’alma mater va bien sûr faire recours, mais la doctrine “America First” confine désormais non seulement à l’absurde, mais aussi à la stupidité et à un autoritarisme d’un autre âge. Le savoir ne connaît pas les frontières. Comment concevoir une université selon une conception purement nationale? Directrice de l’Institut de hautes études internationales et du développement à Genève, Marie-Laure Salles a étudié à Harvard. Dans un post sur Linkedin, elle est choquée par la nouvelle, “un pas de plus vers l’auto-destruction de l’Amérique”. Et la directrice d’ajouter: “La lette (envoyée à Harvard) émane d’un gouvernement fasciste si le moindre doute subsistait encore”.
“L’amateurisme de l’administration Trump n’a jamais été aussi criant à la lumière du professionnalisme de la dictature chinoise.”
A ceux qui pensaient encore, malgré un premier mandat très éclairant à cet égard, que le président Donald Trump allait se présidentialiser au fil du temps devront forcément se rendre à l’évidence. Il continue ses outrances sans que son parti n’y trouve à redire. Ou presque. Il y a quelques jours, il a reçu le président sud-africain Cyril Ramaphosa pour lui réserver le même sort qu’au chef d’Etat ukrainien Volodymyr Zelensky. En deux mots, pour l’humilier en direct, comme dans la télévision réalité en prétextant un génocide contre les Blancs en Afrique du Sud, une patrie dont vient le Blanc Elon Musk. Cette pratique de l’humiliation a lieu dans un des lieux les plus sacrés de la démocratie américaine: le Bureau ovale. Elle est grossière, contraire à tous les principes diplomatiques et totalement contre-productive. Les Américains sont-ils suffisamment soumis à une forme d’autocratie qu’ils n’osent déjà plus réagir à ces actes d’une rare vulgarité? Je m’interroge, cher Philippe, sur la raison pouvant expliquer qu’il puisse encore agir ainsi sans un tollé général.
Il faut dire qu’actuellement, le spectacle que Donald Trump offre dans le Bureau ovale est une parfaite distraction qui masque ses multiples échecs. Ses plans de résolution de la guerre en Ukraine en 24 heures sont vains pour l’heure. Il pensait avoir une tellement bonne relation avec son homologue russe Vladimir Poutine qu’un accord de paix serait facilement signé. C’était sans compter avec la personnalité de l’autocrate du Kremlin qui a très bien saisi le phénomène Trump. Il l’a aidé à se faire élire en 2016 par une interférence russe massive et prouvée. L’intimidation (envers Zelensky), la pseudo-disruption et la naïveté envers Poutine l’ont pour l’heure mené dans une impasse au point qu’il serait prêt à se retirer de toute négociation.
“Le spectacle que Donald Trump offre dans le Bureau ovale est une parfaite distraction qui masque ses multiples échecs.”
Au Proche-Orient, les commentateurs se sont précipités, après son voyage en Arabie saoudite, aux Emirats arabes unies et au Qatar, à montrer que le président américain avait désormais une attitude beaucoup plus critique du gouvernement de Benyamin Netanyahou car il avait snobé Israël au cours de son voyage. En réalité, il n’a plus aucune prise sur la guerre à Gaza. Il a surtout donné tous les signaux au premier ministre israélien pour mener son plan de conquête de la bande de Gaza et d’en chasser les Gazaouis. Ses propos sur la perspective d’une “Riviera” dans cette enclave palestinienne étaient insultants, méprisants et ont servi d’encouragements à Netanyahou. Aujourd’hui, nous vivons en direct l’une des pires catastrophes humanitaires de ce siècle.
Sur le plan commercial, l’occupant du Bureau ovale a rapidement claironné une victoire en raison de la “conclusion d’un accord, d’un deal” avec la Chine dans la belle résidence de l’ambassadeur de Suisse auprès de l’ONU sur la butte de Cologny. Oui, il y a eu baisse des taxes douanières de 145% à 30% pour les produits chinois exportés aux Etats-Unis et de 125% à 10% pour les produits américains exportés en Chine. Ce moratoire est limité à 90 jours. Un mécanisme de dialogue a été mis en place. Mais aucun accord commercial n’a véritablement été conclu. Donald Trump est à la merci des Chinois qui sont venus à Genève extraordinairement bien préparés. J’ai assisté, cher Philippe, à la conférence de presse du secrétaire américain au Trésor Scott Bessent et de son représentant au Commerce Jamieson Greer. Peu de recul critique des deux responsables américains, mais beaucoup d’auto-conviction dictée par Donald Trump lui-même. Le “Jour de la libération” au cours duquel il a imposé des droits de douanes à un très grand nombre de pays à travers la planète tourne au fiasco. Un seul accord vraiment signé avec le Royaume-Uni qui n’a rien de très substantiel. Pékin a très bien compris le tournant pris par les Etats-Unis de Trump. Ces jours-ci à Genève, la délégation chinoise comprenait 140 personnes, celle des Etats-Unis zéro. Egalement très présents lors de “side events”, les Chinois étaient sans doute même beaucoup plus. L’amateurisme de l’administration Trump n’a jamais été aussi criant à la lumière du professionnalisme de la dictature chinoise.
Face à cette descente aux enfers de l’Amérique marquée par l’incompétence crasse des ministres formant le gouvernement américain, y a-t-il au moins de la résistance? L’annonce du cancer agressif de l’ex-président Joe Biden a été une très triste nouvelle qui ajoute un nouvel élément dramatique à la tragédie de la famille Biden. Pour rappel, Joe Biden avait perdu sa femme et sa fille dans un accident de voiture peu après avoir été élu au Congrès américain. Plus tard, son fils Beau, ex-procureur du Delaware, décéda d’une tumeur au cerveau et enfin son fils Hunter n’a cessé de s’enfoncer dans les affaires douteuses et la toxicomanie.
Cette triste nouvelle arrive en même temps que la publication de deux livres sur le réel état de santé du président Joe Biden au cours de son mandat. Le premier, “Original Sin” est cosigné par le journaliste de CNN Jake Taper et celui d’Axios Alex Thompson. Les révélations, qui ne font que confirmer la dégradation de l’état de santé du président constaté de façon flagrante lors du premier et seul débat présidentiel de la campagne 2024 face à Donald Trump, sont dévastatrices et inquiétantes. Les deux auteurs ont parlé à plus de deux cents personnes. Selon eux, Joe Biden n’était opérationnel à la Maison-Blanche que lors de “peak hours”, entre 10h et 16h. Certains proches se demandaient s’il allait devoir être transporté en chaise roulante en cas de second mandat. Mais ils n’ont rien dit. Ce silence apparaît comme une grave faute politique. Comment cet entourage et les dirigeants démocrates ont-ils pu laisser Joe Biden envisager un second mandat à la Maison-Blanche? Les déclarations alarmistes du procureur spécial Robert K. Hur, qui avait interviewé Joe Biden sur sa gestion de documents classifiés à la fin de sa vice-présidence sous Obama avaient été jugées fallacieuses par les démocrates. Elles décrivaient pourtant la réalité. Ces derniers en paient aujourd’hui le prix fort: sans une vraie primaire qui aurait permis de choisir le/la candidate/e le/la plus apte à battre Donald Trump, ils ont offert à ce dernier un retour au Bureau ovale. Kamala Harris a bénéficié d’un certain enthousiaste au début après les efforts de l’ex-présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi de rallier tout le parti derrière la candidate. Mais celle-ci n’a pas démenti les doutes qu’on avait à son sujet en 2020 déjà lors des primaires démocrates. Sans vraie vision politique et dans un contexte politique où le national-populisme avait le vent en poupe, elle a largement échoué.
La fin de Joe Biden est dramatique. Or s’il avait su se retirer à temps et ne faire qu’un seul mandat, s’il avait eu le courage d’avoir une politique plus musclée envers Israël, il serait resté dans l’Histoire comme un grand président ayant accompli beaucoup de choses. On risque toutefois de garder de lui ces deux taches sur son bilan. Il reste que si l’on parle de Joe Biden, on devrait aussi s’interroger sur la santé mentale de Donald Trump dont les élucubrations (weawering) toujours plus extravagantes interrogent.
Les démocrates ne sont pas tous abattus pour autant. Ces derniers jours, Philippe, ont été le théâtre d’auditions musclées du Congrès. Celles-ci ont valu au secrétaire d’Etat Marco Rubio des moments extrêmement difficiles. Il faut dire que l’ex-sénateur républicain de Floride a balancé par dessus bord toutes ses convictions et valeurs, même s’il avait déjà des tendances à faire les girouettes par le passé. Les plus critiques estiment qu’il s’est fait “lobotiser” par le courant MAGA. Percutants, les démocrates l’ont poussé dans les cordes et tendu un miroir. Le résultat fut dévastateur.
Dans certains milieux de la finance, quelques voix, notamment en Suisse, pensent toujours que Donald Trump est l’homme de l’économie qui va faire entrer les Etats-Unis dans un âge d’or. Cet aveuglement risque de coûter cher. La politique des tarifs douaniers ne mène nulle part. Mais elle a fragilisé l’économie américaine. Les attaques de Donald Trump contre le président de la Réserve fédérale (Banque centrale) Jerome Powell ont sapé la confiance dans la politique monétaire américaine, le dollar, mais aussi l’astronomique dette états-unienne (37 000 milliards de dollars). Et aujourd’hui, le ver est dans la pomme. A voir la Chambre des représentants adopter une loi de baisse d’impôts aussi absurde que dangereuse, Wall Street commence à s’inquiéter. La perte de confiance dans les bons du Trésor américains pourrait bien s’aggraver. Le projet de loi, si elle est approuvée par le Sénat, va ajouter au minimum, 3300 milliards à la dette. Il va surtout creuser massivement les inégalités dans le pays. Plus de dix millions d’Américains vont perdre leur assurance-maladie à travers Medicaid (couverture médicale pour les plus démunis) et des coupes vont être opérées dans le programme de bons alimentaires dont dépendent plus de 40 millions d’Américains. L’administration Trump laisse entendre que cela sera financé par une hausse sensible de la croissance économique. C’est une antienne déjà entendu en 2017. La première baisse fiscale de Trump devait être financée par 4% de croissance. Ce fut une chimère et la dette a explosé. Je ne serais pas du tout surpris, Philippe, que les marchés s’effondrent une fois la loi approuvée.
Nombre d’Américains qui refusent la déliquescence trumpienne, cher Philippe, ne supportent plus ce climat suffoquant et cherchent par tous les moyens à s’échapper de cette atmosphère oppressante. A Genève, celle-ci n’est pas meilleure. Les coupes budgétaires annoncées par l’administration Trump ont provoqué un questionnement accéléré de l’écosystème genevois fait d’agences onusiennes, d’organisations internationales et d’ONG. Le coup est brutal. Nombre de pays se précipitent désormais sur la proie genevoise pour tenter d’attirer chez eux des activités onusiennes jugées trop onéreuses au bout du Léman. Dans un an, la Genève internationale ne sera plus la même. Grand moment, si je puis dire, de cette semaine: l’intervention hallucinante par vidéo de Robert F. Kennedy Jr. à l’Assemblée mondiale de la santé. Exhortant les autres Etats membres à quitter l’organisation, comme les Etats-Unis l’ont annoncé, il est apparu en complet décalage avec le reste du monde qui venait d’adopter l’Accord sur les pandémies sans les Etats-Unis. Rejeté par la propre dynastie des Kennedy, RFK Jr. met tous les milieux de la santé globale dans un état de profond désarroi.
Mais au pays du grand-père de Francis Fukuyama, j’imagine, cher Philippe, que tu n’envisages pas la fin de l’histoire. Je serais intéressé de t’entendre sur la perception nippone du trumpisme. Je doute qu’on soit dans la même dynamique que Shinzo Abé et Barack Obama à Hiroshima en 2016…
J’attends ta réponse, et ton retour, avec impatience.
Avec mes amitiés,
Stéphane
Mon très cher Stéphane,
Sur la fin de mon voyage au Japon–j’y reviendrai plus bas- il me suffit simplement de compléter ton inventaire déjà consternant des décisions et des initiatives récentes de Donald Trump. Je mentionnerais quelques nouveaux titres qui ont fait l’actualité entre le moment où j’ai ouvert ton billet et celui de ma réponse à ton post. Je n’imagine pas que ce tu dépeins comme la « descente aux enfers » puisse être rapidement bloquée. Je crois au contraire que celle-ci ne cessera de s’accélérer, même si bien sûr, à l’intérieur la contre-révolution trumpienne connaîtra ici ou là quelques revers tandis qu’à l’international, l’apaisement et un retour à un degré de normalité dans la conduite des affaires étrangères semblent plus élusifs que jamais.
De ces nouveaux développements, je songe par exemple à la nouvelle déclaration de guerre contre l’Europe, menacée de 50% de droits de douanes alors même que Bruxelles discutait avec Washington, déclaration à nouveau suspendue dans un exercice grotesque de yoyo politico-diplomatique. Je pense aussi au chapitre de la corruption et aux conflits d’intérêts tels qu’illustrés par la réception grandiose donnée par Donald Trump pour les financiers qui ont investi des sommes colossales dans l’achat de la cryptomonnaie que gère l’un de ses fils et dont le président pourrait, un jour, personnellement bénéficier financièrement. Je pourrais multiplier les exemples. Après le cadeau d’Air Force One par les Qataris et ce dernier épisode, que dirais-tu d’ailleurs mon cher, de rebaptiser #Trump en $Trump : Acte 2 ? Mais bon, sarcasme à part, tout ceci est terriblement choquant, c’est un euphémisme.
C’est, j’imagine, d’abord aux Américains que tu pensais à propos de cette « descente aux enfers ». Il n’y a aucun cynisme à dire que leur réponse à Trump leur appartient pleinement, c’est, après tout leur histoire. Tu évoques Francis Fukuyama, l’homme de la « fin de l’histoire » ; il est d’une lucidité parfaite sur la situation chaotique que traverse son pays. Il l’attribue en grande partie à la personnalité de Donald Trump, à des traits de caractère qui, dit-il, sont chez lui très anciens et qui vont en s’amplifiant. Avec ce penseur de la démocratie, nous ne sommes pas dans la psychologie de comptoir mais dans l’analyse des fonctionnements du pouvoir, ou plus justement dans le cas de Trump de ses multiples déviances. Se basant sur des recherches scientifiques, d'innombrables psychologues de renom livraient récemment une analyse similaire tout à fait inquiétante. Or, force est malheureusement de constater qu’en fin de compte rien ne se passe vraiment.
“La réponse de la « rue américaine » continue d’être bien tiédasse”.
Tu parles de la volée de bois vert reçue par Marco Rubio par ses anciens collègues. Certes, mais « so what ? ». Que faudra-t-il pour mettre en mouvement un réel soulèvement? « Un autocrate n’est jamais aussi fort qu’il le prétend et les gens ne sont jamais aussi faible qu’ils ne le pensent », écrivait le militant pacifiste Gene Sharp dans les années 80, cité aujourd’hui par Nicholas Kristof, un influent éditorialiste du New York Times qui considère Donald Trump plus «vulnérable que jamais». Peut-être, mais dans tous les cas, la réponse de la « rue américaine » si tu me laisses utiliser l’expression dans ce contexte, continue d’être bien tiédasse.
Le reste du monde, inquiet, agacé, incrédule reste, lui, condamné à tenter d’imaginer de quelle manière les choses pourraient encore empirer dans l’irrationalité complète qui règne désormais au sein du pouvoir américain. Il reste très difficile aujourd’hui de se faire une idée précise des dynamiques internes à l’œuvre au sein de l’équipe au pouvoir, et plus directement de celle qui détermine les relations entre Donald Trump et ses dévoués au sein du cabinet. Que vaut la parole de qui ? Quelle est la voix qui compte et qui prévaudra? Mystère. Une certitude néanmoins, on en a d’innombrables preuves, et c’est aussi ce que Fukuyama souligne, c’est que Donald Trump n’abandonne jamais ses obsessions et que cette pathologie détermine pour beaucoup son action avec des conséquences politiques en cascade. Il peut parfois les mettre en sourdine, délibérément ou pas, mais elles finissent toujours par remonter à la surface. Celle qu’il nourrit au sujet des droits de douanes par exemple, n'obéit à aucune logique économique. Mais elle est chez lui du même ordre que la certitude que Joe Biden lui a volé son élection de 2020, ou comme il continue de l’affirmer dans sa lecture complotiste de l’histoire, que les Chinois, les Européens, les alliés des Etats-Unis, somme toute le monde entier n’ont fait que de profiter de l’Amérique depuis des décennies. C’est cette fiction qui dicte son action, qui l’amène désormais à vouloir venger les Américains de cette injustice supposée en faisant payer à tous l’accès au marché américain.
“Il est illusoire d’imaginer que la Maison-Blanche peut mener sérieusement de front près de 200 “négociations” commerciales avec des pays qui sont aujourd’hui tous échaudés et méfiants”.
Mon cher Stéphane, je prends ici le pari qu’il ne cédera pas sur ce point. Le faire serait contraire à son idée fixe. Elle le contraindrait aussi à se déjuger et ,enfin, constituerait un risque politique face à sa base électorale. L’inconnue, à ce stade, reste donc de savoir à quel niveau cet accès au marché américain sera taxé. Un chiffre tout de même pour mettre tout cela en contexte. Même des droits de douane à 10%, un chiffre publiquement affiché par la Maison-Blanche , qui selon elle représente « une base équitable qui encourage la production nationale, renforce nos chaînes d'approvisionnement et garantit que la politique commerciale américaine soutienne d'abord les travailleurs américains, au lieu de les affaiblir », comporte des risques réels de récession globale. Ils seraient en effet près de 6 fois supérieurs au taux moyen de 1,8 % imposé par les Etats-Unis depuis plus de 30 ans. Ce n’est pas tenable. Tout aussi illusoire est d’imaginer que la Maison-Blanche peut mener sérieusement de front près de 200 “négociations” commerciales avec des pays qui sont aujourd’hui tous échaudés et méfiants.
Alors oui, puisque tu me poses la question, à la lecture de la presse anglophone de l’Archipel, le Japon, allié historique des Etats-Unis, est aujourd’hui terriblement inquiet et mis dans une position extrêmement délicate par la dérive américaine. Le voici qui doit d’abord répondre aux mesures tarifaires de la Maison-Blanche qui menacent très gravement son économie. Les 24% annoncés par Washington s’ajoutent au 25% sur les droits imposés à l’industrie automobile, dont les exportations représentent près de 30% du volume global des exportations nippones. L’idée de se tourner vers la Chine, son adversaire historique afin de sauver son économie lui est difficilement pensable mais elle commence néanmoins à faire son chemin. Le monumental pavillon chinois à l’exposition d’Osaka qui donne dans une débauche de présentations à vous couper le souffle une autre dimension au mot propagande loue d’ailleurs dans une grande fresque sculptée les longues relations historiques avec le voisin japonais.
Mais au Japon comme ailleurs, le déclenchement de cette guerre commerciale a aussi eu comme premier effet après le choc, d’immédiatement saper la crédibilité et la fiabilité de l’administration Trump. Or, le Japon est encore entièrement dépendant des Etats-Unis pour assurer sa défense militaire. Certains observateurs ici craignent ouvertement que l’administration américaine puisse conditionner la poursuite de ses engagements sécuritaires à l’acceptation de droits de douanes extraordinairement pénalisants pour l’économie du pays. Et cela, tandis que le voisin chinois, véritable cible de la politique américaine, ne cesse de développer sa puissance et son influence. Les Dialogues de Shangri-la, le forum annuel qui est à l’Asie ce que la Conférence sur la sécurité de Munich est à l’Europe s’ouvriront vendredi à Singapour. Elles sont attendues ici avec une impatience teintée d’appréhension sans précédent.
Mon cher Stéphane, je te laisse aujourd’hui sur une pensée que mon séjour ici n’a fait que renforcer. L’hypermodernité japonaise repose sur une intégration harmonieuse de la tradition et de la modernité. La ligne temporelle entre le passé et l’avenir n’est jamais brisée.
C’est la loi de l’Histoire. Jusqu’à maintenant. Or, notre monde actuel est un monde sans passé et sans mémoire. C’est donc probablement en vain que nous tentons de nous raccrocher à nos références anciennes, à un monde d’avant. Et c’est cette rupture radicale et inédite qui fait sans doute que celui que nous avons sous les yeux peut nous apparaître sans avenir.
Avec toutes mes amitiés. Je t’appellerai quand je serai remis de mon jetlag.
Philippe