#6: Tourner la page du multilatéralisme: le risque non calculé de l'équipe Trump
Le drapeau de l'ONU en berne
Cher Philippe,
En face de moi, il y a l’Eiger et la Jungfrau. Plongé au coeur de l’hiver, à Grindelwald, j’ai soudain le sentiment que l’actualité trumpienne me paraît bien lointaine. Un dernier post toutefois avant de plonger dans une pause des fêtes jusqu’au début janvier.
Jusqu’ici, nous nous sommes beaucoup penchés sur les conséquences d’une seconde administration Trump sur les Etats-Unis. Celles-ci seront sans doute considérables. Mais au vu de la place qu’occupent les Etats-Unis sur la scène internationale, il me paraît nécessaire de s’intéresser à l’impact de Trump 2.0 sur un aspect de la scène internationale: le multilatéralisme.
“Un retrait américain serait catastrophique pour la santé globale”.
Lawrence Gostin, Université de Georgetown
Le terme paraît quasiment antinomique quand il est juxtaposé au concept d’”America First”, l’Amérique d’abord. On avait déjà eu un aperçu du peu de considération que Donald Trump avait pour le multilatéralisme durant son premier mandat. Il n’a guère chnagé d’avis et pourrait même avoir encore durci ses positions. Lundi, citant des sources anonymes au sein de son équipe de transition, le Financial Times écrivait que celle-ci a l’intention de pousser le 47e président à claquer la porte de l’Organisation mondiale de la santé le premier jour de son entrée en fonction, le 20 janvier prochain. Professeur de santé globale à l’Université Georgetown à Washington, Lawrence Gostin ne mâche pas ses mots: ce serait “catastrophique” pour la santé globale, car la contribution américaine à l’OMS représente entre 14.6 et 16% du total.
Un tel retrait interviendrait à un moment critique. L’OMS et les Etats membres sont toujours en train de négocier un traité pour permettre à la planète de mieux se préparer et riposter à une future pandémie. La réponse au Covid-19 avait montré des actions très disparates et parfois chaotiques des Etats pour faire face au virus.
Mais la disruption qu’orchestrerait la seconde administration Trump serait sans commune mesure avec les menaces qu’elle avait brandies lors du premier mandat de Trump. Les pays en développement pourrait en payer le prix fort. Mais les Etats-Unis ne seraient pas épargnés en cas de pandémie. Ils profitent également des mécanismes d’alerte en place à l’échelle mondiale pour amorcer une riposte. Sous Donald Trump 1.0, certains de ces mécanismes étaient en place. Mais Trump a négligé les mesures à prendre pour lutter contre la pandémie. L’Amérique a ainsi eu l’un des pires bilans, en termes de morts, de la pandémie.
En quittant l’OMS, Donald Trump porterait par ailleurs un coup dévastateur à la coopération scientifique qui a toujours été très intense entre l’OMS, le CDC (Center for Disease Control and Prevention), un centre extrêmement pointu dont le siège est à Atlanta, ainsi que le National Institute of Health (NIH). Nombre d’experts de ces deux centres sont souvent à Genève pour discuter de la santé globale sous un angle scientifique.
Plus largement, le retrait américain de l’OMS aurait une résonance bien plus importante encore. Ce serait le symbole fort d’un désintérêt majeur pour l’action multilatérale. On connaît les problèmes des Nations unies qui, ces jours-ci, sont impuissantes face à la multitude de conflits qui ravagent le monde. On connaît ses problèmes de liquidités. Mais malgré sa faiblesse relative, elle reste nécessaire. Donald Trump nous dit simplement que l’ONU et ses agences ne revêtent plus un grand intérêt pour la Maison-Blanche. Ce serait un virage majeur des Etats-Unis qui ont réussi à mettre en place, avec les Européens notamment, un ordre international basé sur des règles qui leur a beaucoup profité. S’en distancier de façon aussi brutale pourrait coûter très cher au statut de l’Amérique dans le monde.
Les idéologues d’”America First” sont focalisés sur des gains transactionnels à court terme. Ils omettent de voir les dégâts qu’une telle posture pourrait occasionner à ce qui est aujourd’hui encore la première puissance mondiale. La Chine observe. A l’OMS, elle pourrait avancer ses pions et bénéficier fortement de la politique de la chaise vide de Washington.
Bonnes fêtes à toi
SBU
Je signale, avant d’éteindre mon ordinateur, la chronique de Jennifer Rubin dans le Washington Post. Elle y manifeste son étonnement face à un grand nombre d’élus démocrates qui cherchent déjà à “trouver un terrain commun” avec Donald Trump. Pour elle, ils défendent un esprit de coopération bipartisane (entre Républicains et Démocrates) comme fin en soi. Or, ajoute-t-elle, il n’y a pas de “terrain commun” possible avec un président qui veut expulser 11 millions de clandestins en déployant l’armée pour le faire, emprisonner ses ennemis ou prendre le pouvoir budgétaire du Congrès. Jennifer Rubin est catégorique: une telle volonté de coopérer avec Trump est la meilleure manière de le normaliser. Pire, les Démocrates se montrent ainsi faibles, non préparés et incapables de résister à un futur président autoritaire. Il n’y a pas moyen de négocier en bonne foi et rationnellement avec Donald Trump, estime-t-elle.
“Democrats shouldn’t try to find ‘common ground’ with Trump”, Jennifer Rubin, Washington Post.
A lire également:
“Donald Trump va-t-il marginaliser la Genève internationale?”, Stéphane Bussard, Le Temps
Rendez-vous, cher Philippe, au début janvier pour la suite.