Exclusif: #16: Les directives de New York pour répondre au questionnaire de Washington
Mon cher Stéphane,
Tu trouveras, après celle de mon dernier billet, de nouvelles révélations autour du questionnaire de Washington envoyé aux acteurs du système multilatéral. Notre échange qui révèle l’existence du questionnaire date du samedi 8 mars. Le 11 mars, le Bureau des affaires légales (OLA) du siège de New York envoie en toute urgence un document sans en-tête et non signé à l’ensemble des entités onusiennes, leur offrant des directives sur la manière de répondre. Laconique, l’email indique simplement qu’un document lui est attaché. Ce document dont je révèle ici l’existence dit la très profonde préoccupation de l’organisation mondiale face à l’initiative de l’administration Trump. Il est envoyé à toutes les organisations internationales basées à Genève. Or, interrogés à plusieurs reprises ces derniers jours par la presse et les médias, les responsables onusiens continuent d’offrir des réponses évasives sur les destinataires genevois du questionnaire et les responsables des agences refusent de commenter. Dans un flou assez épais face à la méthode disruptive employée par l’administration américaine, le Secrétariat général de l’ONU estime qu’il faut tenter de contenir les dommages. Elle prend la mesure de ce qui est en train de se passer. Clairement, ces 36 questions et les conséquences qu’elles pourraient avoir sur le système onusien et multilatéral ont placé l’organisation mondiale en mode de gestion de crise. New York estime ainsi qu’il est vital que l’ensemble des entités visées « adoptent une approche commune afin d’assurer la cohérence » de la réponse, mais aussi « la préservation du statut des Nations unies », peut-on lire dans le document des services légaux de New York.
C’est dire le niveau de préoccupation de l’organisation. Dans le désordre et la confusion qui entoure les salves de Washington, le siège de New York se voit même contraint d’admettre en introduction à ses directives « qu’il n’a pas eu connaissance de la totalité des questions » mais que « l’échantillonnage en sa possession » suffisait à soulever des « inquiétudes » (concerns) en regard du « statut de l’organisation et de son cadre légal ».
Le Secrétariat général suggère ainsi qu’en premier lieu, les entités qui ont reçu le questionnaire en accusent simplement réception et affirment que la « question est à l’étude ». Ses directives font un pas de plus : elles encouragent les organisations à « souligner dans leurs réponses l’importance de la coopération avec les Etats-Unis et la relation historique entre l’ONU et les Etats-Unis ».
New York pousse les organisations internationales à insister sur le fait qu’elles répliquent « sur une base volontaire et sans préjudice des privilèges et des immunités» de l’entité concernée, que les réponses ne devraient pas être « précipitées » et que la possibilité d’une réponse globale à l’ensemble des questions peut être envisagée.
La lecture de ces directives venues de Manhattan illustre à nouveau toute la difficulté à traiter avec une administration qui fait de l’imprévisibilité et de la disruption son modus operandi à l’intérieur comme sur la scène internationale. Dans le contexte qui nous préoccupe, comment, par exemple, pour l’ONU, répondre à un sondage qui pose plusieurs questions sur des liens et des financements provenant de pays que la nouvelle administration cite nommément comme des rivaux des Etats-Unis, tels la Chine, l’Iran, la Russie qui sont naturellement représentées dans l’ensemble des enceintes internationales ? Au vu de la possibilité de voir la Genève internationale brutalement éviscérée, avec en conséquence des millions de vies menacées dans le monde, tu me permettras Stéphane, ( et j’ose l’espérer nos lecteurs avec toi) , de citer assez longuement comment l’organisation propose de naviguer sur ces eaux agitées.
Les instructions soulignent en premier lieu les différence de statut possible entre les organisations internationales, lesquelles peuvent avoir des projets et des initiatives dans des États membres qui n’ont pas grâce aux yeux de Washington. « Les réponses ne devraient pas singulariser un État membre d’une manière négative», conseille New York.
Le Secrétariat insiste donc sur le fait que « toutes les entités ne relèvent pas du même cadre juridique et réglementaire. Néanmoins, afin de garantir le maintien du statut exclusivement international de chaque entité, les entités ne doivent pas accepter explicitement de se conformer à la législation, aux décrets et aux jugements nationaux. Le cas échéant, l'entité doit faire référence à la Charte des Nations unies en expliquant par exemple qu’elles ont été fondées par leurs États membres, dont les États-Unis". Cette dernière phrase est une manière de rappeler à Washington, et notamment au Congrès, sa responsabilité aux termes de la Charte de l’organisation.
Stéphane, je vois honnêtement mal ce qui pourrait aujourd’hui infléchir la position américaine. Je ne vois au contraire qu’un durcissement et une imprévisibilité entretenue qui me fait penser que la destruction pour elle-même est le premier objectif du projet trumpien. J’y reviendrai. (Mon ordi m’indique que les derniers épisodes du podcast de Steve Bannon sont en ligne. Paraphrasant Stefan Eicher et son “laissez moi déjeuner en paix”, je n’ai pas l’intention de ruiner mon weekend en les écoutant.
Avec toutes mes amitiés.
-Philippe
Cher Philippe,
Les directives envoyées par l’ONU New York que tu as obtenues confirment le fait que ces dernières ont bien reçu le questionnaire dont nous avions parlé dans notre post précédent. Tu le soulignes, la communication du Palais des Nations ne confirmait pas il y a quelques jours l’existence de ce questionnaire. Voilà qui à mes yeux révèle bien le désarroi dans lequel est aujourd’hui plongée l’organisation multilatérale. Face à l’absurde du questionnaire et à son caractère largement idéologique, elle ne sait plus comment réagir de peur de provoquer les foudres de l’administration Trump.
Ce matin, le 14 mars, la pression devenant toujours plus forte, l’ONU a lâché quelques bribes d’informations, Elle a pour la première fois admis qu’une agence onusienne, ONUSIDA, avait bien reçu ledit questionnaire. On sait maintenant qu’elle n’est pas la seule. Le désarroi est encore amplifié par l’annonce faite aujourd’hui par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) qui vient d’annoncer qu’elle allait licencier 20% de son personnel.
C’est donc hébétée que la Genève internationale observe ce qui se passe dans l’espace multilatéral en lien avec les Etats-Unis. Le couperet n’est pas encore tombé. Les 90 jours de délai pour évaluer le financement accordé à des organisations internationales et à des ONG par USAID (l’agence américaine de développement international) n’a pas encore expiré. Il faudra aussi attendre la fin août pour savoir l’impact des mesures plus larges prises par la Maison-Blanche.
Mais la confusion règne aussi à New York où un fonctionnaire onusien rencontré ce vendredi à Genève me rapporte que nombre d’employés de l’ONU doivent désormais aller à Washington pour obtenir un visa dont la procédure d’obtention dure quelque trois mois. Au Palais de verre qui surplombe l’East River, les Onusiens sont choqués et attendent de voir le sort qui leur sera réservé par le pays hôte.
La présidente du Conseil d’Etat genevois Nathalie Fontanet disait dans Le Temps l’espoir qu’elle mettait sur la philanthropie pour composer la réduction du financement américain. Au vu des montants gigantesques que représente le financement américain, cela ne suffira pas. Et surtout si la philanthropie devait effectivement apporter son aide à des projets spécifiques, sera-t-elle aussi intéressée à verser des centaines de millions dans une organisation dont elle ne sait pas ce qu’elle va devenir. C’est toute la question.
Bon week-end, cher Philippe
-Stéphane